Entrevue exclusive avec le Chef Chanthy Yen
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Tu es déjà une célébrité au Canada, mais pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux-tu parler de qui tu es et de ton style de cuisine?
Mon style de cuisine est basé sur des concepts. Lorsqu’on a un beau concept et une belle idée, ça donne une base de travail qu’on peut exploiter à fond.
Pour mon premier restaurant à Montréal, nous avons proposé des menus de dégustation de nouvelle cuisine canadienne. Ensuite, j'ai travaillé au ‘’Parliament Pub and Parlour’’, où j'ai créé pendant la pandémie un pop-up appelé ‘’Touk’’ qui proposait un menu de street food cambodgienne. Avec ‘’Touk’’ nous avons également travaillé avec des mixologistes du monde entier, on a même accueilli le American Bar du ‘’Savoy Hotel’’ de Londres. J'ai aussi travaillé pendant deux ans pour le ‘’Cold Room’’ et ‘’El Pequeno’’ que vous connaissez sûrement. Ensuite, j'ai été consulté pour ouvrir un restaurant à Montréal appelé ‘’Tiramisu’’.
Tu as vécu dans un peu partout au Canada, quel a été l'impact sur ta cuisine ?
Cela a eu un impact important. La difficulté pour tout chef est de traduire sa passion dans l'assiette. Comment faire passer son message tout en créant quelque chose qui plaise ? C'est toujours un défi.
Avec plus de 20 ans d'expérience en cuisine, c'est devenu un peu plus facile pour moi. Être honnête avec les clients, être honnête avec soi-même et être ouvert à la critique, ça rend humble et ça m'a beaucoup aidé. L'année dernière par exemple, lorsque le Guide Michelin est venu à Vancouver, on a remporté un Bib Gourmand avec un restaurant 100% végétalien. Alors en travaillant avec ces belles idées on arrive à traduire ce qu’on veut faire passer avec succès.
D'où viennent ces idées, comment ces concepts sont-ils créés ?
Ça part essentiellement de ‘’brainstorming’’ et de collaboration. Comme je ne suis pas propriétaire des restaurants dans lesquels j'ai travaillé, quelqu'un arrive vers moi avec une proposition de concept et me demande : qu’est-ce qu’on peut faire avec ça ? Un peu comme : Hé, Chanthy ! Peux-tu créer un restaurant à partir de cette paille ? Combien d'idées tu peux avoir à partir de cette paille ? Est-ce qu'on mange avec la paille ? La nourriture est-elle servie sur des pailles ? Est-ce que tout se présente sous forme de paille ?...C’est vraiment comme ça que ça se passe!
Retour aux sources. Lorsque tu étais dans la cuisine de ta grand-mère, quelles sont les premières sensations dont tu te souviens ?
Le tout premier souvenir que j'ai de la cuisine de ma grand-mère est de me réveiller le matin et de l'entendre avec son mortier et son pilon, en train de broyer des épices. Je me demandais quel était ce bruit sourd. Je suis allé dans la cuisine et je l'ai vue en train de préparer une pâte de kroeung, une pâte de curry jaune très populaire au Cambodge.
Cet outil m’a été donné comme on passe un relai : "c'est à toi maintenant". J’ai travaillé avec ma grand-mère pour préparer la nourriture tous les jours. J'ai préparé ma première casserole de riz à l'âge de 6 ou 7 ans. J'ai toujours été dans la cuisine. C'est pas seulement une carrière pour moi, ça fait partie de ma vie.
Ta première sensation n'est donc pas une odeur ou un arôme, mais un son !
Oui, c'est le clic, clic, clic, et le rythme. C'est un peu comme ça que je travaille. Il s'agit de créer une pulsation dans la cuisine.
La plupart des gens ne connaissent pas vraiment la cuisine cambodgienne. Quels sont les marqueurs qui permettent de l'identifier ?
La cuisine cambodgienne est difficile à décrire et dépend aussi des régions, mais on peut dire qu’elle est très aromatique, rafraîchissante et qu’elle a une longue histoire. On y retrouve des influences indiennes, thaïlandaises et même chinoises. Par exemple ‘’Les Street Monkeys’’ est l'un des meilleurs restaurants cambodgiens de Montréal à l'heure actuelle, avec une touche de modernité.
On trouve des chefs cambodgiens dans le monde entier. Souvent ils cuisinent de la cuisine thaïlandaise, japonaise ou autre, mais on assiste à un tournant avec une visibilité de plus en plus importante de la cuisine cambodgienne. Lorsqu'ils font leur propre cuisine on sent tout de suite l'honnêteté et l'inspiration d'une cuisine enracinée dans leur culture.
Quelle est la chose dont tu es le plus fier à ce jour ?
L'année dernière, la communauté cambodgienne du Québec s'est réunie à l'occasion d'un gala pour célébrer la communauté et sa croissance au fil des ans. Parmi les quelques personnes présentes, j'ai reçu le prix de l'étoile montante pour avoir fait connaître la culture alimentaire cambodgienne au Canada et lui avoir donné de la visibilité. Je n'avais jamais reçu quelque chose d'aussi spécial. Il existe beaucoup de prix, mais rien n’égal la reconnaissance de sa propre communauté. Si tu n’as pas d'équipe derrière toi, tu célèbres tout seul.
Puis ça permet également d'ouvrir la voie pour les autres. Par exemple, être chef cuisinier du Premier Ministre ou occuper d'autres postes de haut niveau. À l'avenir, les jeunes chefs cambodgiens pourront se dire que c’est possible pour eux aussi.
Le fait d'être le chef cuisinier personnel de Justin Trudeau a-t-il été un tournant dans ta carrière ?
Travailler pour Justin Trudeau a été un excellent moyen de diversifier mon expérience en tant que chef cuisinier. J’ai mis à profit tous mes souvenirs et ma culture pour les amener à table tous les jours. Et le fait de pouvoir le faire pour la famille Trudeau ça m'a comblé, parce que Pierre Trudeau a ouvert les portes de l'immigration pendant la guerre civile au Cambodge, permettant à ma famille d'entrer dans ce pays. Pouvoir rendre la pareille au Canada, en nourrissant le Premier ministre et sa famille, a été une expérience très rare et très spéciale.
Tu as déjà eu tellement d'entrevues, alors pour diversifier un peu les questions et mieux te connaître, on voulait te poser des questions du type "Si tu étais", alors voilà :
Si tu étais un ustensile de cuisine, lequel serais-tu ? Je serais un fouet !
Si tu étais une épice ? Ce serait les piments. Spicy !
Si tu étais un vin ? Je serais un Lambrusco. Il est pétillant et rafraîchissant.
Si tu étais sur une île déserte pendant un mois et que tu n’avais que trois plats à manger, ça serait lesquels ? Des nouilles, du riz et... euh... de la pizza ! (Rires)
Pour terminer, peux-tu nous raconter une anecdote amusante que tu as vécu dans ta vie ou ta carrière de cuisinier.
Lorsque j'étais petit, mon grand-père a voulu m'acheter des bonbons à l'épicerie. Mais il ne savait pas lire l'anglais. Je jouais généralement le rôle de traducteur dans la famille et je n'étais pas là pour l'aider... Il m’a offert ces ‘’bonbons’’ en cadeau, mais lorsque je les ai mangé, je me suis vite rendu compte que je mangeais des grains de poivre mélangés ! Soit il m'avait fait une farce, soit il ne s'en était pas rendu compte. J'ai quand même été reconnaissant et j'ai fini de manger ma bouchée de poivre. Si seulement je pouvais revoir ma tête d'enfant ! Alors c’est ça la vie! Quand il t’arrive des choses inattendues tu as toujours le choix de tes réactions !
Suivez Chanthy sur Instagram: @chanthyyen